L'huile de palme de Constant et son savon jaune
La maison est construite dans une palmeraie sauvage sur laquelle il a fallu abattre de nombreux arbres.
Plusieurs palmiers à huile (Elaeis guineensis) ont été laissés en bosquets ici et là pour faire de petites places de fraîcheur. On en tire le vin de palme rapidement mis à congeler avant qu'il fermente (on n'est pas des soulards ^_^) ainsi que de l'huile.
Un palmier rônier (Borassus flabellifer) se dresse fièrement vers le ciel.
De nombreux palmiers colonnes (Roystonea oleracea) ont été plantés en lignes droites, ils formeront en quelques années une allée majestueuse.
De jeunes cocotiers (Cocos nucifera) transplantés de chez le cousin donnent déjà régulièrement de bons cocos frais.
L'huile de palme rouge extraite par Constant
Autant le dire tout de suite, ici on aime les Palmiers.
Je veux dire la famille des Palmiers (ou Arecaceae) dont fait partie le palmier à huile aujourd'hui décrié. Comme les bananiers, les Palmiers sont des herbes géantes et non des arbres.
En fabriquant nos cosmétiques, nous aimons aussi beaucoup les Palmiers, peut-être sans le savoir.
Les ingrédients suivants en sont issus : huiles de coco, palme et palmiste, émulsifiants (MF, VE, cire n°1, 2 et 3, BTMS, olive douceur...) et épaississants (alcool cétylique, acide stéarique, cetyls esters, cétyl palmitate ...), cire de carnauba, sangre de drago, huile d'aguaje ou buriti, huile de babassu...
Constant s'occupe de tout avec la régularité et l'attention que son prénom de baptême évoque naturellement. Il n'a pas 25 ans mais il est très sérieux et doué pour tout. C'est un homme de confiance au sourire éclatant de ses dents du bonheur.
C'est un vrai villageois qui n'est allé qu'une seule fois à la capitale. Être traité de villageois a longtemps été péjoratif mais aujourd'hui je trouve que c'est une richesse d'être un vrai villageois, vu l'exode rural massif qui frappe le monde et le vide de tous les savoirs traditionnels.
Et un vrai villageois du sud sait fabriquer de l'huile de palme comme on sait fabriquer du karité dans le Nord.
Le jour dit, je suis allée en ville faire les treize douze mille trucs que j'avais reportés. Il m'a dit, ce n'est pas grave, demain. Demain, mince, j'ai quinze treize mille autres trucs prévus.
... le jour du départ, coincée pour boucler les valises (je déteste!) il a commencé sans moi. Mais j'ai pu assister au reste. Il manque dans les photos, l'ébouillantage et le pilonnage des noix de palme au mortier en bois.
Le palmier à huile produit des drupes (fruits charnus) rouges et noires groupées en gros régimes qui peuvent être constitués de 1500 drupes et font plus de 50cm de diamètre. Je vous laisse en imaginer le poids.
Chaque drupe est constituée d'une graine dure et noire entourée d'une pulpe orange. A l'intérieur de la graine dure, se trouve une amande blanche avec une très fine peau noire.
L'extraction de l'huile de palme rouge se fait à partir de la pulpe défibrée. L'huile de noyau de palme ou huile de palmiste est jaune pâle et est extraite de l'amande blanche qui se trouve à l'intérieur de la graine.
Ces deux huiles sont différentes tant physiquement que dans leur composition en acides gras.
Photo : Coupe transversale d'une noix de palme
L'huile de palme rouge se trouve en deux qualités :
- L'huile pressée à froid ou zomi, la rolls de l'huile de palme. Très prisée et plus chère comme toutes les huiles vierges pressées à froid.
Si vous voulez acheter en toute conscience en France une huile de palme rouge, certains magasins exotiques vendent du zomi du Togo ou du Ghana. Il y a peu de chances qu'elles proviennent de Malaisie alors que les autres ...
C'est la meilleure qualité alimentaire.
- L'huile rouge "simple" ou huile rouge "seulement" (traduction de ami vovo "pkom").
Elle est cuite à l'eau pour une extraction maximale. On l'utilise dans l'alimentation bien sûr mais sa saveur est moins riche, plus huileuse et moins goûteuse. Elle est tout de même très riche en bêta carotènes qui lui confèrent sa couleur et son inestimable valeur pour l'alimentation notamment celle des enfants et des femmes enceintes.
C'est LA source de vitamine A la plus commune et la plus accessible dans ce pays, il n'y a aucune raison valable de la diaboliser là bas.
Voici quelques étapes de fabrication de l'huile de palme simple que je vais utiliser dans le savon de Constant.
Vu les trois douze mille trucs qui m'ont occupée ailleurs, Constant a jeté l'éponge et n'a pas pu fabriquer de zomi.
Un palmier du jardin et son échelle, les régimes, les noix prélevées une à une sans se piquer et ébouillantées pour ramollir la pulpe
Passage au mortier pour décoller la pulpe des graines ébouillantées, Constant ajoute de l'eau à la masse, débourre manuellement les fruits pilés jusqu'à épuisement avant de les mettre de côté dans le seau blanc à sa droite. Le jus mélange d'eau et de gras pulpeux est laissé dans la marmite pour être cuit
Cuisson au feu de bois du jus obtenu, l'huile surnage une fois la cuisson terminée, Constant écope délicatement le surnageant et le verse dans une autre marmite
On remet du bois, on fait cuire à nouveau pour évaporer l'eau résiduelle en contrôlant le chauffage, on coule en bouteille d'eau de Possotomè recyclée en la posant dans une casserole pour ne pas salir le sol par inadvertance
Recyclage des résidus stockés dans le seau en plastique derrière le mortier : On sépare les graines des fibres qui ressemblent à de la "paille" une fois séchées .
Les graines noires défibrées serviront à extraire de l'huile de palmiste, les fibres seront tassées dans un trou formé dans le sable de la cour avec le socle du mortier, on y versera l'eau de la 1è cuisson contenant encore un peu d'huile surnageante, l'eau sera absorbée par le sable alors que l'huile restera prisonnière de la paille fibreuse.
Les galettes formées dans le sable sécheront au soleil, seront récupérées et formeront du combustible pour allumer le feu de bois. On trouve facilement ces galettes grasses en vente au marché.
Rien ne se perd et il n'y aura aucun déchet non biodégradable.
Mon savon est béninois
Il est entièrement fait avec des huiles produites au Bénin. Elles sont toutes vierges et commercialisées par Songhaï. Cette ONG fort dynamique fait la promotion de l'écologie et du recyclage.
Les plantations locales sont entretenues en biodynamie, les animaux sont nourris avec les produits de l'agriculture, les asticots dont je vous passe la production nourrissent les poissons, les champignons poussent dans une construction en terre cuite à l'atmosphère humide contrôlée naturellement... tout est auto-produit.
Le projet Songhaï forme des jeunes gens de la sous-région et les aide dans leurs projets agricoles personnels. Ils reçoivent une bourse pendant leurs études, sont logés et nourris sur place.
En échange, ils animent les visites commentées.
Les produits animaux ou végétaux, les aliments (jus de fruits, sirop, céréales, champignons frais...) ainsi que certains procédés écologiques (four, marmites à économie d'énergie, filtration naturelle d'eau, production de biogaz pour utilisation ménagère...) sont commercialisés sur place ou sont proposés dans une boutique de la capitale qui porte le nom bienvenu d'Aliments Sains.
Un reportage d'ARTE sur la ferme Songhaï pour voir tout cela en images
J'ai dilué la soude dans de l'eau de source de Possotomè qui existe aussi en version gazeuse.
Si vous avez le goût d'aller passer quelques jours dans cet endroit au bord du lac Ahémé, allez dire bonjour à Théo de ma part.
Attendant sagement en salle d'embarquement, j'ai entendu mon nom dans le haut parleur.
Qu'avais-je donc fait? Je n'ai plus d'enfant en bas-âge qui aurait pu se perdre dans la foule et qui attendrait sa maman au guichet n°3.
Et bien ... figurez-vous qu'on voit les bouteilles au scanner à travers les valises quand elles passent la douane. Et j'ai affirmé à l'hôtesse qu'il n'y avait pas de liquides dans les valises. Damned je suis foutue!
Et que "Madame, ouvrez ces 3 valises !" Et que " Mais enfin Madame, vos huiles peuvent salir l'avion d'Air France" "Comment on va faire avec tout ça? Hein, 5 bouteilles !" " 5 bouteilles, c'est pas 1, Madame !" "Est-ce que vous savez que ça coûte jusqu'à 200000 euros (!) à cette compagnie pour tout nettoyer si elles coulent?" M'en fous Monsieur le douanier
Je me suis débattue, je me suis accrochée à mes bouteilles, ils m'ont cravatée, ils m'ont coincée sous leurs bottes, ils m'ont même battue, je leur ai laissé une bouteille d'alcool fort local mais j'ai ramené mes huiles.Non mais !
Heureusement l'huile de palme rouge était dans une valise non fouillée. C'est la plus salissante et Air France n'aime pas ça du tout, mais alors pas du tout... M'en fous!
Formule du savon à l'Ami vovo de Constant
40% Huile de palmiste du Bénin
20% Beurre de karité du Bénin
20% Huile de baobab du Bénin
15% Huile de sésame du Bénin
5% Huile de palme rouge de Constant du Bénin ^_^
Eau de Possotomè du Bénin
Soude du Bénin pour un surgras de 5%
J'ai volontairement baissé la quantité d'huile de palme rouge à 5% car elle colore intensément.
La couleur est toujours très belle mais à plus de 5% elle donne une mousse très colorée que je trouve désagréable à moins de la masquer dans du noir.
J'aime la couleur lumineuse et j'ai compensé la dureté manquante par beaucoup de karité que je n'apprécie généralement pas saponifié à plus de 10/15%.
L'huile de palmiste que j'adore dans les savons et l'huile de baobab riche en acide palmitique contrebalancent les effets qui me déplairaient dans cette formule.
La couleur des bêta carotènes est photolabile. Je garde ces savons à l'abri de la lumière et une fois n'est pas coutume, je les emballerai dès que possible.
Mon intérêt pour la fabrication des huiles locales a été frustré quand sur la route de l'aéroport, Delphin le chauffeur m'a dit "Grande soeur, moi je sais fabriquer de l'huile de coco".
J'avais trente douze mille trucs à voir et revoir...