"Cueilleur d'essences" par Dominique Roques, Edition Grasset
Acheté l'an dernier en entendant son auteur à la radio, je l'ai lu lentement, relu chapitre par chapitre, en en dégustant chaque mot.
Interviews sur France culture et chez Mollat libraire.
Je suis renversée, conquise, charmée par l'évocation que Dominique Roques fait de son métier de souceur de matières premières naturelles pour la parfumerie.
On y voyage, on s'instruit, on regarde définitivement très différemment les flacons d'essences que l'on possède, on rêve de s'en offrir d'autres.
Et... je me suis sentie privilégiée de les connaître, de savoir les utiliser et d'en avoir senti de très belles déjà.
Dominique Roques - Cueilleur d'essences, Editions Grasset
L'auteur
Dominique Roques est souceur pour l'une des plus prestigieuses entreprises mondiales de création de matières premières pour la parfumerie et les arômes. Ce métier rare (il n'existe qu'une quinzaine de sourceurs dans le monde!) est comme son nom l'indique à la source de certaines de nos fioles d'aromathérapie.
Avec plus d'une trentaine d'années d'expérience, il décrit dans ce livre, avec un luxe de détails, une plante, un pays, des femmes et des hommes ainsi que les situations historiques et actuelles de la ressource.
De simple acheteur, il s'est mué au fil des années et des rencontres en un témoin et rapporteur de ce qui se passe réellement sur le terrain.
Les exigences de transparence des consommateurs ont obligé ensuite le sourceur et les entreprises à s'impliquer dans la préservation de la ressource, dans les achats conscients, dans la juste rétribution du travail souvent harrassant, lent et soumis aux exigences des normes européennes ignorantes des pratiques agraires parfois millénaires, des réalités socio-politiques en place, de la violence des guerres et de l'avidité...
Le témoignage de Dominique Roques est la preuve s'il en faut encore que nos actes d'achats peuvent impacter la finance et ses rouages vers plus d'humanité et de conscience de la valeur du travail accompli dès le départ.
Le contenu
Empreint d'humanité et de compassion pour les personnes qui font que ces fioles arrivent jusqu'à nous, le livre est construit sur des chapitres dédiés à une plante et l'un des pays ou la région où elle pousse:
- Le ciste - l'Andalousie
- La lavande - la Hte Prrovence
- La rose - l'Inde, la Turquie, la Bulgarie et le Maroc
- La bergamote - la région de Reggio
- Le jasmin - Grasse, l'Inde et l'Egypte
- Le benjoin - Le Laos
- La cannelle - Le Sri Lanka
- La vanille - Madagascar
- Le patchouli - L'Indonésie
- Le vétiver - Haïti
- Le baume du Pérou - Le Salvador
- Le Bois de rose - La Guyane
- La fève Tonka - Le Venezuela
- Le bois de santal - L'Inde et l'Australie avec une évocation trop rapide à mon goût de la Nouvelle Calédonie, chère à mon coeur
- Le Oud - Le Bengladesh
- L'encens - Le Somaliland
C'est un ouvrage qui peut se lire classiquement du début à la fin mais aussi chapitre après chapitre selon la plante qui vous attire. Seuls la rose et le jasmin sont traités en deux chapitres distincts pour chacun.
Roques évoque son travail conjoint avec un parfumeur dont il n'écrit que le prénom et quelques uns des très grands parfums qu'il a créés avec pour base l'une des plantes en question.
Il les emmène avec lui sur place, leur fait rencontrer ses contacts locaux dont il décrit avec beaucoup de précision les personnalités, leurs savoirs ancestraux, leur motivation, leur courage et leur détermination parfois pour mener à bien le travail de production de la plante en association avec les planteurs, les gemmeurs, les cueilleurs...
Il décrit parfaitement son admiration pour le vocabulaire des nez, leur grande sensibilité et leur créativité.
Il ne lésine pas à livrer ses propres émotions, son attachement particulier à telle femme ou tel homme, à tel ou tel paysage, telle ville ou localité d'une écriture fluide, resserrée et précise, ciselée parfois et réellement agréable à lire.
Mes plus
Ce livre est pour vous si vous ne connaissez rien aux plantes à parfums, si vous avez envie de vous y intéresser globalement sans passer par la botanique, l'agro-foresterie, la chimie des arômes, la géographie, la géopolitique...
Il y a de tout cela dans chaque chapitre et si vous vous prenez au jeu vous irez apprendre tout cela plus précisément, vous lirez peut-être les recettes de ce blog avec un autre oeil.
Mais j'ai aimé que D. Roques mette en avant toutes les communautés souvent ignorées, voire méprisées qui ont toujours vécu au sein des écosystèmes végétaux qui ont nourri les humains, les ont soignés et élevés spirituellement depuis des millénaires si l'on prend par exemple l'encens.
J'ai aimé aussi lire le gigantesque fossé des réalités de la vanille produite à Madagascar et le luxe débridé qu'elle donne à un parfum de grande marque, son flaconnage ciselé unique en verre lourd, tous les métiers et les créateurs qui ont oeuvré autour de la livraison au monde d'un cru intemporel.
Du coup, j'ai mis aux pieds mes chaussures de rando et ma chemise de baroudeuse, mon gros sac à dos, je suis allée transpirer sur les côteaux à Mada, j'ai dormi dans une cabane de la jungle au Salvador.
Ensuite j'ai porté ma blouse d'alchimiste, mélangé des jus superbes dans mes flacons, porté les mouillettes à mon nez, regardé le maître-verrier agir dans sa forge... Et un jour, j'ai enfilé ma robe de soirée jaune, mis mes diamants aux oreilles puis mes stillettos pour la soirée de lancement du grand parfum de joaillier en compagnie du gratin du monde mondial.
Sans prendre l'avion, juste pour moins de 20.90€, c'est donc économique et écologique!
C'est un livre qui peut sembler grave au vu de ce qu'évoque communément le parfum.
Il convient donc de ne pas se laisser abattre par "encore des mauvaises nouvelles du front" mais de se réjouir que l'on soit aujourd'hui plus conscient de notre empreinte et de l'excellence d'un parfum qui contient beaucoup de matières naturelles.
Je reste plus que jamais convaincue que mettre 2 gouttes de jasmin ou de rose dans mon huile me fait évidemment autre chose au cerveau que 2 gouttes de fragrance même naturelle.
Cela me replace dans la lignée des humains qui vivent sur cette terre depuis qu'il y a des végétaux.
Crédit photo de D. Roques (Revue Nez avec une belle Interview )
Mes moins
Dominique Roques indique à la fin de cet ouvrage qu'il y avait encore à écrire sur la rose de Mai, l'ylang-ylang, le cèdre, le styrax, l'iris, le gaïac...
Alors Monsieur Roques, au boulot!
https://www.instagram.com/dominique__roques/
Réflexion cadeau
"N'oublie pas de dire que toutes les forêts repoussent, seules ou avec de l'aide, les arbres ne sont pas rancuniers, ils ont juste beaucoup plus de temps que nous".
Citation de son père qui a été un temps bûcheron en Californie et qui a malgré lui participé à la raréfaction des grandes forêts de Séquoias qui ne représentent aujourd'hui qu'à peine 1% du peuplement d'origine avant la ruée vers l'Ouest. Comme les éléphants d'Afrique... 1% seulement des peuplements originels persiste.
Avec toute ma tendresse.