Chaque région, ville ou pays du monde m'inspire des images, des odeurs, des poncifs (banalités, clichés, stéréotypes...) tout à fait assumés.
Je fabrique des savons , des tas de savons, d'autres savons, encore des savons et d'autres cosmétiques en les baptisant du nom d'un continent, d'un pays ou d'un adjectif s'y rapportant.
Quand je ne copie pas carrément un savon issu d'un blog du pays en question!
J'ai envoyé un ami m'acheter de l'huile de son de riz dans une boutique japonaise de la capitale.
Il est revenu sans l'huile mais avec un savon curieux, dépaysant en diable quand on sait avec quoi il est fabriqué.
Du coup, je l'ai renvoyé dans le même magasin avec pour mission de me ramener l'ingrédient en question et l'huile de son de riz.
Si possible hein, sans vouloir le commander... tout ça, tout ça.
Il en est revenu avec les deux!
Savon de riz "Dassai" pour le visage
Hô, Hôô, bonheur et excitation!
Je me suis mise en cuisine le soir même puisque j'avais déjà écrit des tas de formules différentes, esquissé la forme, les couches, calculé la soude, imaginé le moule, choisi les autres ingrédients.
Et voilà le résultat:
Mais qu'est-ce donc cet ingrédient mystère?
C'est la lie de saké (mon savon s'appelle LALI, vous vous souvenez?).
Le saké est utilisé en guise de produit de beauté pour ses effets hydratants et éclaircissants du teint.
Il est supposé réduire les tâches de rousseur et les tâches de vieillesse grâce à la présence d'acide kojique, un anti-oxydant.
Voici un article (en anglais) très instructif sur l'utilisation de saké en cosmétique mais ne prenez pas les informations prosélytes pour les éclaircissants naturels (ac. kojique, arbutine) versus chimiques (hydroquinone...)
Vous trouverez sur le blog de Lolitarose,
.son savon des rizières au saké,
.une crème doudou des filles de l'extrême au saké,
.ainsi qu'un excellent article sur la recherche du teint perdu (rituel de beauté japonaise II).
Il m'est impossible de faire les liens sur son blog, il doit y avoir des caractères spéciaux que je sais pas éliminer. Help please!!!
L'acide kojique a été présenté comme l'une des alternatives naturelles pour diminuer la production de mélanine par la peau.
Vendu sous plusieurs noms et extraits: Dermawhite HS, Phytoclar, Rice extract "COS", Vegewhite... il sert également pour des peelings.
Ils permettent cette peau diaphane dont les japonaises sont friandes.
Mais des études récentes ont fait état de risques potentiels pour la santé (thyroïde, foie) à partir de 0.1% d'acide kojique, ce qui est vraiment très peu compte tenu des approximations de pesée dans les cosmétiques faits maison et du risque d'accumulation dans l'organisme.
Les crèmes dépigmentantes en contiennent au moins 1% si ce n'est plus.
Il n'est donc pas conseillé d'en incorporer soi même dans ses cosmétiques. Les dangers de certains produits dépigmentants sont bien réels et consternants.
Quelques infos ici, ici et ici
D'autres études viennent contredire cela car de nombreux pays consomment des aliments riches en acide kojique normalement considérés comme excellents et même bénéfiques pour la santé (graines de soja, extraits de soja, tofu...).
Que faire?
Il va sans dire qu'encore une fois un aliment ou une plante est constitué de nombreux actifs qui agissent en synergie et que l'on ne peut en résumer les bienfaits à un seul de ces constituants.
La notion de totum en phytothérapie me semble être un principe de base.
Bref, considérant qu'il n'y avait aucun danger à utiliser un cosmétique à base de soja, de saké ou de lie de saké, j'ai fabriqué mon propre savon à la lie!
Tout d'abord, il faut savoir que comme toute lie qui se respecte, la lie de saké (qui a beau être japonaise) ne sent pas très bon.
Au mieux, on trouve que ça sent la fondue savoyarde avec beaucoup de vin.
J'en ai fait sentir à un haut-savoyard, maître ès fondue, qui après l'avoir humé, m'a regardée comme si en disant cela, je l'avais insulté. Lui, sa mère, son père et même ses ancêtres avant lui!
Fort heureusement pour moi ^_^ il ne peut pas me soupçonner d'en vouloir à toute sa descendance qui trouve que ça sent bien la fondue à la fin du repas quand on gratte le fond du caquelon ...
La lie de saké ou saké kasu est utilisée dans la cuisine japonaise (je n'ai trouvé que ces recettes de soupe miso et plat de poisson ou viande tous deux à la lie de saké).
Un essai apparemment réussi de chocolat à la lie de saké a été réalisé par Jean-Paul Hévin, chocolatier parisien.
Le saké kasu se présente comme une pâte souple facile à découper en morceaux.
Pour l'introduire dans le savon, je l'ai mixé dans de l'eau bouillante, filtré pour retirer les résidus trop exfoliants puis mis à congeler en glaçons.
J'ai utilisé cette lie directement en pâte exfoliante sur le visage.
Ce n'est certes pas pratique mais j'en suis ressortie avec un teint mat, poudré peut-être légèrement trop astringent pour une peau sèche mais le teint est indubitablement plus net.
L'effet est éphémère mais j'imagine qu'en guise de masque coup d'éclat, c'est parfait! Rassurez-vous tout de même, je n'ai pas changé de couleur!
Cette eau de lie a été introduite à la trace pour l'une des couches du savon.
Pour l'autre, j'ai dilué la soude dans l'eau de lie.
Entre les deux couches, j'ai saupoudré une minuscule pointe de poudre de thé vert matcha à travers les mailles d'un tamis en inox comme ici.
La présence d'alcool fait gonfler la solution caustique. Normalement il faut faire éventer l'alcool avant de fabriquer la lessive de soude (pour les savons à la bière par exemple).
L'éruption caustique peut s'avérer dangereuse.
Ne prenez donc pas de risques, mettez vos gants (évident n'est-ce pas?) et faites le dans un récipient haut posé dans l'évier pendant toute cette opération.
Astuces pour séparer deux couches de savon par une poudre
- En mettre très, très peu.
En séchant la couleur des poudres "bave" toujours dans la pâte à savon donnant l'illusion que la couche est plus épaisse.
- La saupoudrer à travers un tamis très fin idéalement en inox.
Répartir une fine poussière sur toute la surface sans revenir sur vos pas. La couleur semblera unie au séchage.
- Ajouter la seconde couche de savon peu de temps après la première et travailler à la trace moyenne ou épaisse si vous voulez une ligne droite.
S'aider éventuellement d'une cuillère pour ne pas abîmer la surface.
La poudre de matcha est ici à peine perceptible et pourtant la ligne dans le savon est bien visible.
Le savon Dassaï a pour INCI: Sodium hydroxydesoja (c'est écrit collé), acides gras, lie de saké. Je choisis donc de fabriquer le mien avec le plus possible d'huiles fluides et peu de détergence.
Formule du "Savon Lali" pour le visage
- 58% Huile de soja bio
- 40% Huile de son de riz
- 2% acide stéarique
Sirop de riz bio
Vitamine E
Soude pour un surgras de 7%
Couche claire: Eau de lie de saké à la trace
Couche foncée: Soude diluée avec l'eau de lie
Poudre de thé vert matcha entre les deux
Fabriqué au fouet à main bien entendu! La présence d'alcool dans la lie aide formidablement à accélérer la trace qui ne viendrait jamais avec ce type de formule.
La couche foncée trace plus vite que l'autre.
Savons à la lie de saké ici et ici
Particularités de la formule
Uniquement des huiles fluides (soja et son de riz) pour la douceur d'un nettoyant prévu pour le visage et juste 2% d'acide stéarique pour durcir un peu ce savon qui augure d'être très mou.
** Huile de soja
L'huile de soja semble être mal considérée en savonnerie dans deux de mes livres sur les savons car elle serait peu chère (!) et de peu de valeur pour la peau.
Peut-être parce qu'elle constitue la majeure partie des huiles végétales des margarines aux USA et en Australie où elle est hydrogénée, certainement issue d'OGM et extraite par solvants.
Si sa particularité d'être hydrogénée est catastrophique pour la santé humaine dans l'alimentation, il n'en reste pas moins que l'huile de soja, pressée à froid, issue de l'agriculture biologique est surtout riche en omega 6 (acide linoléique) et omega 9 (acide oléique)... comme plein d'excellentes huiles végétales!
Elle forme peu de mousse et est une excellente alternative aux graisses animales pour qui veut des savons vegan.
Mes divers essais avec cette huile en très grande quantité (30/40%) montrent qu'elle est plus douce pour la peau lorsqu'elle est combinée à de l'huile d'olive.
** Huile de son de riz
Magnifique huile à saponifier!
Elle présente des caractéristiques étonnantes dans le savon pour une huile liquide:
. elle donne des savons qui moussent très bien,
. elle est peu rancissable grâce à la présence d'un anti-oxydant spécifique, le gamma-orizanol.
mais les savons à l'huile de riz passent volontiers par une phase de gel et ils collent un peu plus aux moules.
Dans une bonne formule équilibrée en gras durs comme l'huile de coco, ça colle moins.
Dans ma formule presque uniquement constituée d'huiles fluides, j'ai saponifié à basse température et coulé en moule large et plat sans isolation. Il n'y a pas eu de phase de gel.
**Acide stéarique
Comme la cire d'abeille, il permet de durcir un peu les formules de savons.
J'en mets en général 2 à 3% jamais plus pour ne pas avoir un savon cassant et "tirant" sur la peau.
L'acide stéarique est souvent issu d'huile de palme et c'est l'indice de saponification de cette dernière qui est généralement retenu dans les calculateurs.
**Sirop de riz bio
Parce que le sucre dans les savons majore la mousse alors formée de larges bulles très stables.
Il est possible d'ajouter 1 à 2 cuillères à café de sucre (dissout dans un peu d'eau) ou de sirop de sucre par kg d'huiles
-soit dans l'eau froide avant la soude,
-soit à la trace.
L'ajout de sucre ou de sirop de sucre dans la solution de soude chaude risque de le faire caraméliser.
Le sirop de riz n'est rien d'autre que du sirop de glucose produit à partir du riz. Je l'ai introduit en même temps que la vitamine E dans mes huiles tièdes, ça marche aussi très bien.
Et il participe à la référence au Japon évidemment!
Formule générale d'un savon visage japonais
- 58% huile de soja, huile de sésame blanc bio
- 40% huile de son de riz
- 2% acide stéarique (pour durcir un peu plus, monter à 3% et diminuer l'huile de soja et/ou sésame à 57%)
Soude/eau de riz ou lait de soja, crème de riz très fine, sirop de riz, vitamine E et un peu d'alcool de riz pour accélérer la trace.
Mon savon LALI met une éternité à sécher, il est encore souple trois semaines après la fabrication.
Il est très doux, peu détergent et bien joli. La ligne de thé vert a bruni et est plus nette.
Je suis très agréablement surprise par sa mousse bulleuse qui n'est pas gluante comme celle des savons 100% olive. J'en utilise une petite boule faite avec les chutes une fois par semaine en guise de démaquillant le soir.
Comme le savon fait maison est basique, il vaut mieux mettre une crème après usage.
Je pense qu'ils méritent encore un long séchage.
Le savon dassai original étant foncé, j'ai recommencé en utilisant beaucoup plus de lie de saké (150g) pour diluer la soude.
La formule est plus classique mais très riche en huiles diverses et douces dont de l'huile de sésame noir:
30 coco, 16 cacao, 12 colza, 10 karité, 10 olive, 10 sésame noir, 5 tournesol, 3 autruche, 2 jojoba, 2 ricin, sirop de riz bio, eau, lie de saké, soude pour un surgras de 8%.
Grâce à cette composition, il est très doux (Loulou, j'ai besoin de ton vocabulaire soutenu!). Il mousse fin et bulleux.
Il est bien joli ce second dassai n'est-ce pas?
Mais alors quelle odeur de fond de caquelon!!!
Soit le vrai dassai ne contient pas beaucoup de lie, soit son alliance avec l'huile de sésame noir n'est pas recommandée dans un savon.
Dire que j'en ai fabriqué 1.5kg !