"L'ânesse et l'autruche" : Savon animal au fouet à main
Tout commence comme un conte avec deux animaux on ne peut plus différents: une ânesse qui apporte du lait et une autruche qui apporte des plumes.
Les plumes d'autruche sont délicates et constituent le must des plumes de costumes du Music Hall. Elles ont la capacité de gonfler à la chaleur pour déployer leur panache.
Comme elles sont anti-statiques, elles peuvent être rassemblées en plumeau pour faire le ménage. La plus jolie danseuse du Crazy Horse doit bien traquer la poussière de temps en temps non?
Non? Ah bon...
Alors si elle ne fait pas le ménage, elle doit bien se laver après le spectacle? Donc je laisse les plumes au vestiaire et je demande à l'autruche son huile à saponifier!
Tout le monde connait les bienfaits du lait d'ânesse sur la peau et dans les savons artisanaux.
Ce lait, comme celui de la jument, est considéré comme celui dont la composition se rapproche le plus du lait maternel avec une grande proportion de lactose et peu de matières grasses.
Pour le saponifier, je le congèle en petits glaçons pour permettre une dissolution de la soude sans augmentation excessive de la température.
Savons au lait d'ânesse ici, ici, et ici (si j'en oublie, dites le moi...)
Savons au lait de jument ici
L'huile d'autruche est moins connue sous nos latitudes mais elle présente comme les gras d'émeu ou de canard une grande proportion d'acides gras essentiels, peu commune chez les animaux.
Ses défenseurs la parent de merveilleuses propriétés curatives même plus que celles de l'huile d'émeu car sa richesse en AGE est plus importante (voir ici).
Je précise que comme pour l'émeu, c'est un sous-produit de l'élevage de ces animaux destinés à l'alimentation et l'on peut la trouver dans la plupart des élevages d'autruches en France au milieu de cosmétiques à base d'huile.
Leur composition est très conventionnelle mais la proportion d'huile d'autruche n'y est pas anecdotique.
Elle se présente comme une graisse molle, blanche et fine qui pénètre très rapidement sans poisser la peau.
Je trouve qu'elle sent le beurre, le vrai beurre d'antan peut-être un peu rance (je trouve qu'aujourd'hui le beurre ne sent plus rien même le beurre cru acheté chez le crémier ne sent plus rien! Michèle en mode ronchon).
Donc quelle ne fut pas ma surprise jeudi dernier en écoutant les hauts cris de quelques princesses au nez délicat qui se sont presque pâmées de dégoût en respirant le pot d'huile d'autruche!
Il faut dire que le pot leur a été mis sous le nez en pleine dégustation de thés délicats, de laits à la vanille charnue et de pâtisseries gourmandes. Mais quand même!
J'ai cru qu'elles se voyaient déjà dans le champ boueux, courant derrière des bestiaux aux pattes puissantes issus de dinosaures, pour les trucider, les plumer et leur arracher des monceaux de gras sanguinolents à mettre ensuite dans des chaudrons malodorants pour en extraire cette graisse que je trouve pour ma part merveilleuse.
Même que la dame qui élève ces bêtes l'utilise en cuisine comme d'autres utilisent la graisse de canard ou d'oie pour faire sauter leurs pommes de terre.
Voyez comment l'une de ces princesses de la Tribu des Nez Délicats voit la fabrication des savons.
Enfin, qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre... ;))
L'huile d'autruche est riche en acides gras insaturés, elle est presque molle à température ambiante. Je préfère donc ne pas la chauffer et la laisser fondre doucement dans les gras durs.
Patrizia Garzena et Marina Tadiello indiquent que c'est une huile merveilleusement calmante, réparatrice et nourrissante.
Elle peut être introduite à n'importe quel pourcentage dans un savon et ses effets se font sentir même à partir de 5% des huiles.
in Patrizia Garzena et Marina Tadiello "Soap naturally, ingredients, methods and recipes for natural handmade soap" Programmer Publishing.
Formule du savon "L'ânesse et l'autruche"
- 30% huile de coco indienne
- 25% huile d'olive bio
- 20% huile de son de riz
- 15% huile de palme bio
- 10% huile d'autruche
Soie Tussah
Lait d'ânesse et soude pour un surgras de 6%
Huiles essentielles:
. 3 parts muscade
. 2 parts lavandin grosso
. 1 part santal amyris
Depuis quelques temps maintenant, je délaisse le mixer électrique pour fabriquer mes savons totalement à la main.
Les formules à malaxer manuellement doivent être choisies:
- en mettant suffisamment d'huiles dures (50% minimum)
- en fabriquant peu à la fois (grand maximum 1kg)
- en prenant le temps de laisser poser la pâte entre deux malaxages
- en évitant de fortes proportions d'huiles de tournesol ou de colza par exemple.
J'y ai trouvé tant de grâce que j'en ai fait une floppée depuis lors totalement à la main comme les savonniers d'antan.
Fabrication manuelle
- Diluer la soude dans le lait d'ânesse en glaçons allongé d'un peu de lait liquide
Ne pas agiter fortement mais mélanger doucement en ajoutant la soude petit à petit et en prenant soin de laisser votre bocal dans un bain d'eau avec des glaçons ou des "carboglaces".
Il m'a fallu environ 15 mn pour le faire doucement sans faire chauffer la solution à plus de 40°.
Ajouter la soie tussah finement ciselée.
- Faire fondre les huiles de coco et de palme, ajouter hors du feu l'huile d'autruche et la laisser fondre doucement.
- Ajouter les huiles liquides, bien mélanger et maintenir vers 40°.
- Ajouter la solution de soude aux huiles doucement en mélangeant avec un fouet en inox.
Continuer à fouetter vigoureusement mais avec précaution (pour ne pas projeter de la pâte caustique) pendant une demi-heure pour 1kg d'huiles.
Ne pas hésiter à changer de main, à poser le fouet quelques instants pour vous reposer.
- Filmer le bol et laisser reposer une autre demi-heure.
- Reprendre le fouet pendant 2 mn pour voir apparaitre une belle trace.
Contrairement aux traces obtenues avec le mixer électrique, celles ci même très visibles vous laissent tout le temps de procéder aux ajouts de dernière minute.
Malheureusement je savonne souvent le soir à la lumière électrique. Je devrais le faire à la bougie maintenant que je délaisse le mixer, je ferai peut-être de plus jolies photos ...
Aucune précipitation n'est nécessaire, il suffit de mélanger délicatement à la spatule pour remettre la pâte en mouvement et couler sans souci.
J'ai adoré!
- Ajouter les huiles essentielles et couler.
Remarque importante: Il est impératif de malaxer suffisamment longtemps pour permettre un temps de contact suffisant entre les molécules de soude et les acides gras.
Le risque d'un malaxage insuffisant est de voir de l'huile remonter à la surface du savon donc le risque d'obtenir un savon caustique ou insuffisamment surgraissé.
En cas d'impatience, il vaut mieux craquer et reprendre son mixer comme je l'ai fait ici.
Les temps sont purement indicatifs et peuvent varier selon la formule, le volume de savon fabriqué et votre résistance au malaxage.
N'hésitez pas à laisser faire.
Le décor
J'ai posé au fond d'un "organiseur" en plastique dur acheté au supermarché une feuille de papier sulfurisé froissée.
J'ai coulé la pâte dessus et tapoté le moule sur le plan de travail pour aplanir la surface. Le papier sulfurisé permet un démoulage parfait et laisse ses plis à la surface du savon.
C'est très joli à peu de frais.
J'ai tenté de mettre le même papier froissé sur le dessus mais il est difficile de chasser complètement toutes les bulles d'air. Au démoulage, la surface n'est pas jolie.
Il faut également y penser quand on utilise un peu de plastique bulle pour simuler les loges de cires d'abeille.
Le plus joli motif est obtenu à mon avis avec le film au fond du moule et non dessus comme on le fait souvent. De même, il vaut mieux poser le film en diagonale, l'effet est plus naturel, moins ostentatoire.
Le moule a été isolé dans le four éteint pendant 48h avant de démouler et couper.
C'est l'une des caractéristiques de ces savons faits à la main, ils ont besoin d'un peu plus de temps pour durcir correctement.
Ce sont peut-être des savons pour vieille savonnière patiente...
Une fois découpés, la chirurgie esthétique faite, j'ai façonné les chutes en carrés marseille-like que j'ai tamponnés (Merci Chabou pour ce mini tampon indien).
Ils sont bruts de décoffrage mais avec l'élégance du motif cashmere et un léger veinage.
J'aime beaucoup.
La mousse est faite de grosses bulles puis elle se densifie, l'odeur de muscade est très gourmande et l'effet de texture me semble très réussi.
Finalement l'alliance de l'autruche et de l'ânesse fonctionne très bien. Pas du tout comme l'alliance de la carpe et du lapin !