La tête dans le sable
Imaginez, imaginez, une autruche, la tête dans le sable, et bien c'était moi, ce jour là.
Et quelquefois, ce n'est pas plus mal.
Une soirée de la fin septembre dans les années 70, j'attendais mon fiancé au bistrot de la plage, les pieds (pas encore la tête) dans le sable.
La lumière de cette saison magique dans le sud-est baignait la méditerranée de couleurs douces et chaudes.
Ce petit bar était tous les étés le rendez-vous de la bande, garçons et filles qui suivaient sagement papa-maman en vacances, toujours sur cette plage familiale depuis des années.
au fil des arrivées et des départs, mes cousins et moi qui vivions les deux mois d'été sur le sable, retrouvions nos copains.
Nous avions grandi, les uns étaient en Fac, à l'Ecole Normale, les autres à l'armée mais, par nostalgie et pour prolonger cet état d'enfance heureuse, nous revenions tous au camping passer deux ou trois jours.
J'avais donc embrassé Olivier et Michel - gratteurs de guitare-croqueurs de portrait au fusain, doux rêveurs s'il en est – qui faisaient une halte avant de remonter chez eux.
Je les avais laissés pour siroter mon coca et ils se racontaient leur été :
- Michel : "qu'est ce que tu as fait, ces vacances ?
- Olivier : " J'ai bossé deux mois comme barman à St Trop… pour payer mon école d'architecture. Et Toi ?"
- Bah, ne m'en parle pas, j'ai la haine !
- Ah bon !
- Oui, j'avais trouvé un boulot d'homme à tout faire, chauffeur, jardinier, les courses et sorties pipi des toutous chez unVieux Monsieur Riche de N., la ville aux palmiers.
- Et alors ?"
- Et bé, c'était un vieux grippe-sous qui faisait des affaires louches et ne voulait payer personne. Il s'est débrouillé pour me faire porter le chapeau quand un de ses caniches s'est échappé et ne m'a pas payé le dernier mois. Je ne te dis pas l'hiver à la Fac, la galère !
- drôle de loustic, ton patron."
- Oui, et en plus il était bizarre, tous les vendredis soir il s'enfermait à clé dans une pièce et il en ressortait un peu moins grincheux. Mais ça ne durait pas. J'étais malade de curiosité et j'essayais chaque semaine de tourner doucement la poignée de la porte, sans succès.
- Ca a du être terrible de ne pas savoir, rigole Olivier.
- Mais j'ai su, parce qu'un jour la porte s'est ouverte…
- ahhhhh
- Et là, j'ai vu le vieux sortir de la cheminée.
- de la cheminée ?
- Oui, une immense cheminée qui ne devait pas beaucoup servir car elle était toute propre.
- Et tu sais ce qu'il y faisait ?
- Tu me connais, je ne résiste ni aux filles, ni aux mystères. J'ai attendu que tout le monde sorte un dimanche et j'ai regardé dans la cheminée.
- Et ?
- Tu me crois, tu me crois pas, il y avait une étagère cachée tout en haut, pleine de liasses de billets, empilées sur tant de couches qu'on ne pouvait pas les compter.
- Mazette, et tu as fait quoi ?
- Ben rien, mais je le regrette maintenant, j'aurais du prendre le mois qu'il ne m'a pas payé.
- Tu es toujours à temps. Si tu sais comment rentrer sans te faire voir, on y va, je t'accompagne. Tu n'es pas chiche !
Interloqué, Michel, mis au défi, ne peux pas dire non.
Olivier : je peux emprunter la BM de mon père, on fait l'aller-retour en quelques heures et tu manges tout l'hiver.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Je les vis partir avec ce sourire en coin des gentils garçons qui se préparent à faire un mauvais coup.
Et comme j'attendais mon fiancé, j'oubliais aussitôt cette histoire de fous pour rêver aux délices de ma soirée.
Une semaine plus tard, même endroit, même heure, deux agents qui "passaient par là" et que nous connaissions depuis l'enfance, nous interrogeaient, mine de rien :
- Vous le connaissez, hein, Michel R ?
- Oui, bien sûr.
- Vous l'avez vus par ici ?
- Oui, il y a quelques jours.
- Et vous savez où il est allé ?
Et là, j'ai fait comme l'autruche, j'ai mis la tête dans le sable :
- Non, avec Olivier, ils ont dû rentrer chez eux pour reprendre les cours.
Un gendarme un peu observateur aurait pu voir mon toupet caudal frémir sous le hoquet de la rigolade ! Car, la veille, j'avais appris que Michou et le Grand Olivier, sans la BM de papa mais avec une vieille Dyane poussive avaient avalé la route pour trouver une cheminée VIDE.
Ensuite, ils avaient foncé (!) avec la Dyane et ils étaient rentrés bien tranquilles, à peine déçus car ils n'étaient pas malhonnêtes.
La police, lancée sur toutes les pistes possibles par le morceau de short trouvé dans la niche du doberman (qui avait remplacé le caniche), voulait interroger Michel qui avait travaillé là.
Les deux copains ont joué les anges de vertu, l'enquête s'est arrêtée car rien n'avait été dérobé, sauf un petit bout de fesse d'un gentil jeune homme, qui, le temps d'un voyage en Dyane, s'était pris pour un truand.
Le savon, "La tête dans le sable", grâce à Michèle (merci belle dame) qui m'a offert la graisse d'autruche :
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300 g de graisse d'autruche
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300 g d'huile de noix de coco
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300 g d'huile d'olive
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200 g de beurre de cacao
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100 g d'huile de pepins de raisin
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soude et eau pour un surgraissage à 7
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20 g de lactate de sodium
J'ai séparé la pâte en deux parties avant la trace.
J'ai mis dans la première partie du curcuma et du paprika mélangés à plusieurs barrinettes qui me restaient du défi (3 des vôtres et 5 des miennes).
A la seconde partie, j'ai ajouté de l'argile verte, de la spiruline et de la stévia.
Pour renforcer l'odeur des barres, en souvenir de mon fiancé, j'ai fait un petit mélange "érotisant" d'après Jean-Charles Sommerard :
Pamplemousse 30, Santal blanc 15, Ylang Ylang 10, Canelle écorce 1, Jasmin 3.
L'odeur de la soude s'est estompée et l'odeur de l'autruche aussi, pour laisser la place à un parfum agréable.
Je voulais essayer de faire comme Venezia (savon cacao-patchouli) un rond de couleur différente au milieu. Mais la pâte, que j'avais continué à tourner à la cuillère dans les deux plats (ça sert d'avoir deux mains) et qui était au stade de la trace normale, restait encore trop liquide. J'ai obtenu un superbe marbré pêche-vert très pâle, avec des dessins que je n'aurais jamais espérés même dans mes rêves les plus fous.J'ai versé alternativement les deux couleurs, sans touiller pantoute (une synthèse d'expressions Sud-Ouest/Québec).
Après un épisode de démoulage assez épique, probablement dû à l'eau ajoutée dans l'argile, j'ai pu le découper au bout d'une semaine.
Je suis contente.
Il mousse bien, une mousse très très crémeuse. Pour les autres propriétés, il faudra attendre encore un peu.